ECOLE ET EDUCATION
13/04/11
Forum Ecole pour un Programme Populaire et Partagé

Quelle école, quelle société voulons-nous ?

Forum public à l’initiative du Front de gauche dans les Hauts-de-Seine
10 mars 2011, Nanterre
 
L’intégralité du forum en vidéos : http://vimeo.com/channels/178610

Pour une synthèse : des idées clefs pour un programme partagé

Thème 1 : Contre suppressions de postes, marchandisation et concurrence, quel avenir pour le service public d’éducation nationale ?


Hélène Cillières (PCF) en introduction


Le Front de Gauche 92, composé du Parti Communiste Français, du Parti de Gauche, de la Gauche Unitaire, et élargi à la FASE, au M'PEP et à Alternative Citoyenne, organise ce soir, dans le cadre du "programme partagé", un forum sur les questions liées à l’avenir du système éducatif, pour débattre, échanger et élaborer des propositions pour bâtir un projet émancipateur pour l’école.

Depuis l’élection de N. Sarkozy et la mise en place de la RGPP (non renouvellement d’un départ en retraite sur deux), l'Éducation nationale subit de plein fouet une politique de pénurie aux effets dévastateurs : plus de 65 000 suppressions de postes depuis 2007, et encore 17.000 pour la rentrée 2011, fermetures de classe, suppressions d'options, classes surchargées...

Les mobilisations qui se multiplient montrent bien que la situation est critique, qu'elle a déjà atteint ses limites et que cela ne peut plus durer. Il y a bien urgence à poser la question de l'avenir du service public de l'éducation et de sa définition.

Car le projet de la droite pour l’école  vise à mettre en place un nouveau système éducatif fondé sur le principe de personnalisation, de mise en concurrence, de privatisation à marche forcée. Aujourd'hui se pose la question de la poursuite du désengagement de l’Etat et celle du maintien d’un cadre national, garant d’une égalité de traitement pour tous les élèves sur tout le territoire.

Face à l’abandon du processus de démocratisation, qui doit être pourtant relancé, le système éducatif ne doit-il pas au contraire permettre d'inverser la tendance au creusement des inégalités scolaires en France ?
Le système éducatif doit être interrogé dans son ensemble : quel avenir voulons-nous pour le service public d'éducation nationale, quel projet pour une école de l'égalité ?

Notre pays a sans aucun doute besoin d'une réforme ambitieuse de son système éducatif, d'une réforme dont le succès et la pertinence ne peuvent exister que si elle est partagée et concertée.



Gérard Aschieri, président de l'Institut de recherche de la FSU 

On constate un consensus de toutes les forces de gauche sur le problème des suppressions de postes. Cependant, il est nécessaire de penser en terme qualitatif comme en quantitatif : des postes pour quoi faire et pour où ?


Conséquences d’une politique libérale menée jusqu’à présent à l’école :


1. Abandon de l’ambition de l’école républicaine : la réussite de tous les jeunes. C’est à mettre en relation avec des besoins de l’emploi où de plus en plus de jeunes gens sont diplômés et peuvent prétendre à des emplois qualifiés ce qui a pour conséquence une pénurie de main d’œuvre non qualifiée.
L’abandon de l’éducation prioritaire, dû à des suppressions de postes là où les élèves sont les plus en difficulté, génère un renforcement de l’inégalité d’accès au savoir ainsi qu’un rétrécissement du socle commun des savoirs à son minimum.

2. La mise en concurrence des individus et des établissements entre eux « naturalise » l’échec scolaire. Sous une apparence démocratique (abandon de la carte scolaire par ex.) on met en place une politique inégalitaire.

Réponses qui prendraient le contre-pied de cette politique :

Viser à la fois l’égalité et l’ambition pour construire une école démocratique :

1. Tant que l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans, c’est une école inégalitaire, 18 ans reste le minimum, pour une élévation de la société à la qualification (baccalauréat minimum).
Cette élévation de qualification répond à un besoin de notre société.

2. Répartition des moyens en fonction des inégalités qui, en France, sont territorialisées.

3. Transformer et améliorer la formation des personnels ; en donnant notamment du temps et de la confiance aux personnels.

4. Travailler sur la totalité du système éducatif : la faiblesse est sur tout le système.
Commencer dès la maternelle, voire avant avec les enfants les plus en difficulté, et modifier le travail pédagogique dès l’école primaire. Créer un dispositif de passerelles qui permettraient une plus grande mobilité au collège et au lycée aussi, cela permettrait de ne pas faire cesser le système actuel de « distillation fractionnée » des élèves.

5. Repenser les contenus notamment le « socle commun » ; le transformer sur l’idée d’une « culture commune » en rapport avec le monde contemporain.



Brigitte Gonthier-Maurin, Sénatrice (PCF)

1. Le système public d’éducation est l’objet d’une offensive sans précédent. Chaque année, ses budgets successifs depuis 2007 sont des budgets de pénurie, avec toujours moins d’adultes présents aux côtés des élèves.

2. Il y a ensuite cette succession de réformes, productrices de nouvelles inégalités et d'effets ségrégatifs, impactant l’offre pédagogique et la structure de l’école, foulant au pied le droit d’accès pour chaque enfant au plus haut niveau de connaissance.

3. Deux évolutions vont sans aucun doute transformer profondément la mission assignée, le sens et la visée de l'école :
    - la réforme de la formation initiale et continue des enseignants et la masterisation.
  - les attaques contre l'organisation territoriale nationale du système public d’éducation pour favoriser l'expérimentation locale en matière éducative, donc la dérèglementation.

4. Tout ceci aboutit au questionnement du statut de la fonction publique et des enseignants. La droite veut recentraliser les pouvoirs tout en poursuivant un désengagement financier de l’Etat, des missions de services publics pour faire la part belle au secteur privé.

5. Son discours peut séduire car il s’appuie sur des difficultés bien réelles de notre système éducatif, comme par exemple sur la question de l'autonomie qui, dans le second degré, a surtout servi de variable d’ajustement face à la diminution des moyens.

6. Personne ne nie le besoin de réforme, les atouts mais aussi les graves lacunes du système public d’éducation actuel, son incapacité à avancer bien plus avant dans la démocratisation de l’école. Construire une école pour un haut niveau de culture commune partagée a besoin de temps, elle a besoin de la réflexion de tous ses acteurs, enseignants, élèves, chercheurs, parents, élus, institution. C’est le sens de ce qui est engagé par le Front de Gauche à propos de l’Ecole mais aussi ailleurs sur d’autres sujets.

Bastien Lachaud (Parti de Gauche)

1    Il faut cesser de fermer des lycées professionnels et de renvoyer la formation professionnelle des jeunes en difficulté aux CFA ; le taux d’échec et d’abandon dans ces filières est massif.

2    La privatisation conduit à un « système à l’américaine » : un marché de l’éducation et de la formation rentable, un service public appauvri. Il faut rompre avec les subventions publiques aux établissements privés.


Dans le débat :

1.    La question de la formation des enseignants, initiale et continue, est cruciale. Formation de haut niveau (master) de maîtrise des connaissances et didactique des disciplines, des expériences et théories pédagogiques,  formation à la connaissance du développement de l’enfant et de l’adolescent, entrée progressive dans le métier…Un pré-recrutement (bac+3 ?) avec statut et salaire de fonctionnaire-stagiaire en formation est nécessaire pour que l’origine sociale des enseignants soit à l’image de la société.

2.    La place institutionnelle des parents d’élève dans le service public d’éducation nationale est à repenser : droit à l’information, participation aux instances de concertation et de décision (cartes scolaires, rythme scolaire, projets…). Un statut de parent délégué reconnu par l’employeur et ouvrant droit à des formations est nécessaire pour réduire les inégalités sociales.

3.    La précarisation des statuts des personnels doit cesser : titularisation des personnels et recrutement de titulaires pour les remplacements, la vie scolaire, l’aide à la scolarité…, dans le cadre du statut de la fonction publique d’Etat.

4.    L’ampleur de la crise du système scolaire rend inopérantes et illusoires les propositions d’aménagement du système qui ferait l’économie d’une réflexion de fond sur les finalités de l’école. Il faut partir du projet de société qui doit être celui d’une gauche qui veut dépasser le capitalisme, de la place de l’individu, du citoyen dans le collectif. Dans cette perspective, l’école doit transmettre à tous le patrimoine culturel accumulé par l’humanité, sans opposition entre culture générale, technologique ou professionnelle, afin que chacun ait les outils intellectuels pour comprendre et intervenir en citoyen, et puisse choisir de développer personnellement une aptitude particulière, une excellence, dans un domaine où il contribuera à faire progresser savoirs et savoir-faire. C’est pourquoi plusieurs intervenants estiment que le débat aurait dû « commencer par les fins », par le deuxième thème.

Thème 2 : Comment construire l’école émancipatrice ? Quelle culture commune enseigner ?


Jean Foucambert, président de l’AFL, auteur de plusieurs ouvrages dont L'École de Jules Ferry

Préambule : Une analyse de l’école est nécessaire au préalable à toute réflexion, afin de ne  pas en rester sur la seule exigence des moyens. En effet, plus la droite va dégrader les moyens de l’école et plus la gauche va se « crisper sur l’école de la droite pour la défendre, la soutenir et la développer ».

L’intervention se place dans la perspective historique de la fondation de l’école. A travers quelques citations de Jules Ferry, Fernand Buisson et de Karl Marx, le propos veut monter les intentions qui ont présidé à la création de l’école républicaine et laïque et le projet politique qui la sous-tend :

- Comment domestiquer cette classe ouvrière dont l’industrie a besoin ? Comment en faire l’agent du développement économique et lui faire perdre le sens de la révolte ? Comment empêcher le peuple de se marginaliser dans son oppression, comment passer d’une conscience de classe au sentiment d’appartenir à une communauté prestigieuse ?

- Se pose le problème de l’égalité des chances. L’égalité des chances normalise la réussite à un modèle conforme à celui de la classe dominante.

- Pour construire une école convenable, il faut certainement beaucoup plus de moyens que ce dont on dispose à l’heure actuelle, mais il faut aussi définir ce qu’est une école alternative, et une école du peuple et pas pour le peuple.

- Les principes qui régissent le fonctionnement social ne permettent simplement pas de mettre en œuvre durablement et sur une grande échelle une autre pédagogie.

Pour conclure : c’est la société qu’il faut mettre au centre de l’école, ce qu’on doit découvrir à l’école c’est comment fonctionne le système social.


 
Jean-Pierre Terrail, chercheur, GRDS ( site de la démocratisation solaire )

1. Les inégalités sociales sont au cœur de ce qui fait crise dans le système éducatif. La réduction massive de ces inégalités doit être un objectif prioritaire du Front de gauche, elle conditionne l’existence d’une société démocratique.

2. L’objectif de réduction massive des inégalités est réaliste. En rupture avec la culture de la fatalité de l’échec qui domine le système scolaire, affirmer le principe que tous les enfants ont les capacités de réussir à l’école, contre les idéologies inégalitaires.

3. Une gauche qui proposerait  seulement de revenir sur les « réformes » néolibérales, les suppressions de postes… ne serait pas à la hauteur : les agressions contre le service public d’Education ont une responsabilité, mais marginales, car les inégalités ne se sont pas accrues, depuis 1960.

4. Le Front de gauche doit être porteur de l’exigence d’une grande réforme démocratique de l’école, qui doit mettre en cause la structure du système scolaire pour construire une école unique commune. Ce qui nécessite de repenser les parcours, les contenus et les pratiques d’enseignement.

5. L’école commune doit imposer une logique nouvelle : conduire tous les élèves à l’acquisition d’un bagage commun, d’un tronc commun de connaissances, sans perdre personne.
Actuellement l’école accueille tout le monde dans un processus de mise en concurrence des élèves dès l’école maternelle. Cette logique et ce système de gestion de flux à travers la « performance scolaire », et leurs instruments, dont la notation, doivent être mis en cause.

6. Le parcours scolaire doit être cohérent et solidaire du début à la fin, les apprentissages élémentaires sont essentiels. Porter la revendication de la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans nécessite un renforcement des apprentissages scolaires.

7.  La proposition d’un lycée unique, d’un tronc commun comprenant les enseignements généraux et technologiques jusqu’à 17 ans, puis d’une année terminale à options, constitue une rupture nécessaire avec les filières qui structurent l’actuel système inégalitaire.

8. Construire la culture commune à enseigner constitue un chantier énorme. Priorité doit être donnée aux savoirs disciplinaires, contre la tendance à les réduire dans «  l’interdisciplinarité ». Depuis les années 1980, il n’y a plus de progrès dans les acquisitions cognitives. Le GRDS propose de rompre avec la polyvalence des professeurs des écoles en recrutant des enseignants spécialisés en lettres et en mathématiques. Les dispositifs d’enseignement, les pratiques pédagogiques actuelles doivent être remises à plat, ce qui nécessite le développement des formations initiales et continues, des recherches, des expérimentations.


Zahra Boudjemaï, maire-adjoint à la culture de Nanterre, cadre de l’Education nationale détachée au CEMEA. ( site du CEMEA )

1. Une pratique d’éducation nouvelle nécessite de partir du rôle essentiel de l’école et de porter un projet associant mouvements pédagogiques, sciences de l’éducation, recherche…

2.  La proposition de scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans s’inscrit dans une conception globale de l’éducation, et dans la perspective de l’éducation tout au long de la vie.

3. Quel projet pour l’école est indissociable de quelle société voulons nous. Une société ne peut pas exister sans projet d’éducation. « Quel individu dans quelle société voulons-nous » est la question préalable à une réflexion sur l’éducation.


Alain Bocquet, association éducative ANDEV ( site de l'ANDEV )

1. La société doit décider démocratiquement de ses ambitions pour l’éducation des générations futures et du prix qu’elle veut y mettre.

2. La réussite de tous est un projet dont la réalisation s’inscrit dans un temps long, mais qui implique d’être partagé dans l’immédiat, en redonnant confiance et espoir à la communauté éducative.

3. La conviction que le service public d’éducation nationale doit être défendu et démocratisé ne doit pas conduire à mettre en opposition le principe d’égalité sur tout le territoire avec la pertinence du cadre territorial local, comme espace de démocratie de proximité et de mobilisation des parents, personnels, citoyens, élu-e-s.

Emilie Lecroq, animatrice du réseau pour une transformation démocratique de l’école (PCF)

1. La culture commune doit être construite pour former des citoyens dans la société et des citoyens à l’entreprises, intégrer savoirs et savoir-faire.

2. Chaque jeune doit avoir le temps pour apprendre et choisir son projet de vie. Il faut cesser d’orienter précocement les élèves en échec, de les sortir du système. Un statut de l’élève doit donner aux lycéens et étudiants les moyens de sortir de la précarité.

3. Pour lutter contre les inégalités sociales à l’école, il faut se demander qui est l’élève référent pour qui est fait l’école : c’est celui qui n’a que l’école pour apprendre.

Dans le débat :


1. Polyvalence des enseignants du premier degré : ne pas l’opposer aux savoirs disciplinaires, à la nécessité de formations de haut niveau des professeurs (français, mathématiques, dominantes). Polyvalence d’équipes et mutualisation des compétences nécessitent du temps, de sortir de la pression permanente des évaluations exigées par l’administration et les familles. Pour entrer dans les savoirs disciplinaires, fondamentaux et abstraits, les  élèves n’ont pas en même temps les mêmes appétences et compétences. Des pédagogies de projets, interdisciplinaires, peuvent donner du sens pour eux aux apprentissages. Les pratiques pédagogiques doivent éliminer l’implicite, les pré-acquis supposés, qui créent les inégalités scolaires, les décrochages, l’ennui.

2. Place du collège dans l’école commune de 3 à 18 ans : le modèle culturel et pédagogique du « petit lycée » ne correspond pas à la réalité de la massification, encore moins à l’objectif de démocratisation, il produit de l’échec et des inégalités territoriales entre établissements. Il faut cesser de voir dans une fatale fragilité des élèves due à leur origine sociale les causes des échecs, mais dans la difficulté des apprentissages fondamentaux essentiels, qui sont les vraies causes des démotivations. Programmes et pratiques pédagogiques sont à reconstruire dans la perspective de l’acquisition d’un tronc commun de haut niveau d’exigence intellectuelle, sans sélection ni concurrence.



Ressources, documents et livres reçus :

20 propositions de la FSU pour l’école de demain.

Les publications de l'Association française pour la lecture.
-  Compte rendu d’un débat à partir d’une analyse sur l’actualité du plan Langevin Wallon (février 2011, collectif citoyen issu du Collectif Antilibéral Nanterrien)
Faites chauffer l’école, principes pour une révolution scolaire, de Bernard Calabuig et José Tovar, éditions Syllepse, 2011. Fruit d’une réflexion collective de militants politiques, syndicalistes, associatifs, chercheurs, l’ouvrage développe plusieurs pistes venues en débat dans le forum.(1)
-    Les propositions du Groupe de Recherche pour la Démocratisation Scolaire , des ouvrages de Jean-Pierre Terrail, Stéphane Bonnery, d’autres chercheurs, publiés aux éditions La Dispute (1)

(1)  Disponibles au siège de la fédération des Hauts-de-Seine du PCF, 56-58 rue Sadi Carnot, 92000 Nanterre.